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Réfléchir sur l’Église en “transformation”. Un état des lieux en ecclésiologie

Chronique n°50 – Journée d’études en ecclésiologie - ICP

Réfléchir sur l’Église en “transformation”.

Un état des lieux en ecclésiologie - Paris, 15 novembre 2019

Willy WELE-WELE K.


Le vendredi 15 novembre 2019, s’est tenue à l’Institut Catholique de Paris, une journée d’études en ecclésiologie, intitulée : Réfléchir sur l’Église en « transformation ». Un état des lieux en ecclésiologie.

Le comité d’organisation (Sylvain Brison, Luc Forestier et Dominique Waymel, tous trois de l’Institut catholique de Paris) avait formulé les finalités de cette journée :

1) Organiser une rencontre entre ecclésiologues francophones, de diverses confessions chrétiennes ;

2) Permettre une journée d’interaction entre collègues à propos de leurs travaux et recherches ;

3) Reposer les questions ecclésiologiques dans un contexte difficile pour les Églises (crises liées aux abus dans le catholicisme, au rapport entre Églises et nations dans l’orthodoxie, au rapport à l’Écriture dans le protestantisme) ;

4) repérer les questions ecclésiologiques en cours, par exemple : les effets de la crise des abus (abus sexuels, abus de pouvoir, abus de conscience) ; l’insistance sur la synodalité, le développement des offices confiés à certains laïcs, hommes ou femmes ; l’articulation entre territoire et ecclésialité, les perspectives du Synode d’Amazonie (octobre 2019) et la question de la « décentralisation » ; les évolutions œcuméniques autour du développement des Églises évangéliques et pentecôtistes).

5) Confronter les approches et méthodes en ecclésiologie et

6) Repérer les ressources théologiques (auteurs, congrès, lieux, etc.).


Vaste programme pour une journée (9h-17h). Étaient invités des enseignants et formateurs francophones en France et en Europe (il y a aussi eu quelques canadiens dont Gilles Routhier) et quelques doctorants sur recommandation de leurs directeurs de thèse.

Nous proposons ici un compte rendu critique des quatre exposés de la journée, présentés par : Gilles Routhier (Faculté de théologie de l’université Laval de Québec), Jean-François Chiron (Faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon), Benoît-Dominique de la Soujeole (Faculté de théologie de l’Université de Fribourg) et Roberto Repole (Faculté de théologie de l’Italie septentrionale à Turin) ; et la conclusion sous forme de « cahier des charges » de Jean-Louis Souletie (Institut Catholique de Paris).

1) Gilles Routhier

Dans son exposé intitulé « Quelques fondamentaux en ecclésiologie », Gilles Routhier a souligné particulièrement deux points : le déplacement majeur en ecclésiologie actuelle, de ‘qu’est-ce que l’Église’ à ‘pourquoi l’Église ?’ et la reprise en compte de la via notarum pour repenser les questions ecclésiales actuelles.

Gilles Routhier a, d’abord, commencé par rappeler le contexte dans lequel l’ecclésiologie de Vatican II a été élaborée, contexte désormais différent de celui d’aujourd’hui, marqué par la post-modernité voire de l’ultramordernité, pour parler comme certains sociologues. Même s’il faut mettre des nuances, l’ecclésiologie de Vatican II a été élaborée par des personnes qui vivaient dans une société chrétienne, où l’Église et son existence allaient de soi. Même si l’Église pouvait être, parfois, contestée, sa nécessité ne faisait pas de doute dans les esprits. Là où la société n’était pas chrétienne, cela était vu comme une anomalie à corriger, ou encore comme un retard à rattraper. Dans ce contexte de «chrétienté», l’incroyance ou l’athéisme étaient considérés comme des accidents ou des exceptions qu’il fallait corriger. Par conséquent, l’ecclésiologie s’intéressait à la question de la nature de l’Église : qu’est-ce que l’Église ? L’histoire du Concile révèle par exemple que le premier schéma sur l’Église, élaboré par la commission préparatoire s’ouvrait par De Ecclesiae militantis natura(quelle est la nature de l’Église) ; suivi de De membris comme dans le Code de Droit canonique : évêques, prêtres, laïcs, religieux ; puis de la nécessité de l’Église pour le salut et son fonctionnement, etc. Même si le concile Vatican II a tenté de rectifier ce schéma préparatoire, l’essentiel a été repris dans le corps de Lumen gentium (les évêques, les prêtres, les diacres, les fidèles, laïcs et les religieux). Sur le fond, cela a changé les perspectives, mais la structure est restée la même.

Par ailleurs, il y a eu quelques éléments innovants, notamment dans Lumen gentium, comme les chapitres 1 (Le mystère de l’Église) et 5 (La vocation universelle à la sainteté dans l’Église) et 7 (Le caractère eschatologique de l’Église en pèlerinage et son union avec l’Église du ciel). Pour Gilles Routhier, ces éléments innovants n’ont pas encore été suffisamment reçus, ils appellent des nouveaux approfondissements. Ces chapitres nous conduisent à nous interroger, non pas sur la nature de l’Église mais sur sa finalité, ou sa raison d’être dans le monde. Désormais, on passe de la question : qu’est-ce que l’Église à la question pourquoi l’Église ? C’est-à- dire quel est le sens de son existence en ce monde ? Ce déplacement est indispensable si l’on veut répondre aux questions que se posent bon nombre de nos contemporains sur la nécessité (ou la mission) de l’Église. Gilles Routhier souligne que la question pourquoi l’Église a été posée de manière radicale par la Conférence des évêques de la Région Nord d’Afrique (CERNA) dans une Lettre pastorale : Chrétiens au Maghreb, le sens de nos rencontres(4 mai 1979). En introduction de cette Lettre, les évêques posaient la

question du sens de l’existence de l’Église au Maghreb : pourquoi demeurer au Maghreb alors que, tout au moins, on n’a pas droit de faire du prosélytisme, ni faire des chrétiens ? La question s’est posée aussi en Algérie, à propos de la présence des moines à Tibherine : pourquoi une communauté des moines qui ne peut même pas accueillir en hôtellerie ? Comment situer la vie chrétienne hic et nunc ?

Il ne s’agit pas pour l’Église de faire nombre mais de faire signe. C’est là la préoccupation ecclésiologique importante que ce soit au Maghreb, en Europe et où ailleurs, celle du sens de l’Église en un lieu. Ce n’est pas son fonctionnement, ni sa nature, ce ne sont pas ses membres qui priment, mais pourquoi l’Église dans le dessein de Dieu ? Gilles Routhier souligne que cette question est encore plus importante dans le contexte actuel de postmodernité. Répondre à la question du sens de l’Église nous permet de comprendre ce qu’elle est : une communion ou un espace de réconciliation dans une société fractionnée, avec toutes les femmes et tous les hommes de la terre. L’Église est signe de communion, de réconciliation, de fraternité, qui annonce quelque « chose d’autre » dans ce monde. Elle n’a qu’une chose à offrir au monde, à travers la fraternité en germe, signe du royaume, la Bonne nouvelle du Royaume. La catégorie du signe mise en avant par Vatican II refait surface, elle dit la vocation de l’Église, ce faisant, elle dit ce qu’est l’Église. Il y a là, un déplacement majeur de l’ecclésiologie estime Gilles Routhier : de ‘qu’est-ce que l’Église’ à ‘pourquoi l’Église’.

En deuxième lieu, Gilles Routhier a souligné l’importance de reprendre lavia notarum moins pratiquée aujourd’hui. Il en commente deux : la sainteté, la note la moins reçue aujourd’hui et la moins croyable ; et la catholicité, la note la moins comprise. Or, Gilles Routhier estime que c’est à ces deux notes de l’Église qu’il nous faut probablement attacher le plus d’attention aujourd’hui. C’est à partir de ces deux notes qu’on peut reprendre à la racine les questions importantes aujourd’hui telles que la réforme (conversion) de ou dans l’Église, la gouvernance de l’Église catholique, l’unité des chrétiens et l’Évangélisation. Si l’on ne part pas des fondements, les propositions ou les réponses demeureront encore trop superficielles. En ce sens, Gilles Routhier trouve significatif que Lumen gentium situe la conversion de l’Église dans le cadre de la réflexion sur la sainteté de l’Église. En effet, Lumen gentium 8 affirme à la fois la sainteté de l’Église et la nécessité de son renouvellement ou de sa purification. Toute la question de la réforme de l’Église doit être située dans le cadre de la note de la sainteté de l’Église, autrement on va faire des réformes, mais on n’aura pas le motif qui en donne la signification et surtout on n’ira pas au bout de la conversion. La note de sainteté apparaît aussi dans Unitatis Redintegratio 5 et 6 (il n’y a pas de réforme, sans purification ou sans conversion des Églises). Reprendre la note de sainteté va engager une réflexion sur les fondements de « la réforme » et l’œcuménisme.

A propos de la note de la catholicité, Gilles Routhier a relevé Ad Gentes 22 (diversité et l’unité) et Lumen gentium 13 : unité et catholicité. Il affirme que c’est en fonction de la catholicité de l’Église qu’il convient de (re)penser

le gouvernement central de l’Église catholique par rapport aux conférences épiscopales. Le but est que l’évangile soit annoncé à toutes les nations et dans toutes les langues et dans toutes les cultures. Autrement dit, le meilleur environnement pour repenser les conférences épiscopales c’est la catholicité de l’Église et non pas la collégialité. Pour l’auteur, on a enfermé les conférences épiscopales dans un débat sur la collégialité avec toutes les impasses que l’on connaît alors que le concile Vatican II donnait une autre orientation. A défaut de reprendre une réflexion de fond sur la catholicité de l’Église et de ce qu’elle engage notamment dans le gouvernement de l’Église, on ne fera qu’enregistrer des impasses.

La conclusion de Gilles Routhier est une invitation à revenir aux fondamentaux, pariant que le travail sur les fondamentaux va éclairer toutes les questions particulières qui nous occupent en ce moment, notamment de gouvernance, d’évangélisation, d’inculturation, d’œcuménisme et d’unité.

2) Jean-François Chiron

Le deuxième intervenant a commencé par cette phrase, succincte, mais interpellante : « ce que l’Église dit d’elle-même est inséparable de ce qu’elle vit. » Il situe son propos dans le contexte européen et principalement français, sans écarter l’éventualité de faire des recoupements avec d’autres contextes en raison de la globalisation.

Pour Jean-François Chiron, si l’ecclésiologie est tributaire de l’actualité ecclésiale, elle doit aussi constituer ce qui aide à prendre de la distance par rapport aux évidences, par rapport aux préoccupations, aux obsessions du moment, fussent-elles toutes légitimes. Après ce postulat, Jean-François Chiron a détaché deux éléments : premièrement le tsunami des révélations des abus commis par des clercs sur les personnes vulnérables dont les causes ne peuvent être précisées qu’à l’issue des travaux historiques, sociologiques qui ne font que commencer. Ce problème relève du vivre- ensemble en Église, où on est habitué à associer les abus au cléricalisme. Il convient de ne pas en rester à des dénonciations, mais de dépasser les « évidences », en rappelant, par exemple, que d’autres Églises sont aussi confrontées aux mêmes problèmes, notamment aux USA. Loin de vouloir relativiser cette situation douloureuse à tous les niveaux, l’orateur a voulu souligner la nécessité d’une fine analyse de responsabilités, de personnes, des institutions et des discours. Dans ce contexte, l’enjeu ecclésiologique de fond consiste à découvrir l’Église comme sainte, qualificatif inacceptable au vu de nombre des chrétiens. Si l’Église est sainte, elle est aussi pécheresse. Par conséquent, elle doit se convertir d’abord elle-même avant d’annoncer l’Évangile au monde.

Le deuxième élément épinglé par Jean- François Chiron ce sont les enjeux d’un pontificat réformateur. Il souligne deux enjeux qui touchent ou perturbent ce pontificat actuel : la crise évoquée plus haut et l’orientation du pontificat (son esprit, son programme, sa légitimité, sa mise en œuvre dans un contexte de résistances). Ce qui est frappant, ce sont des

réticences, particulièrement à l’intérieur de l’Église, devant les réformes entreprises. Cela conduit le deuxième intervenant à s’interroger : comment qualifier les résistances actuelles dans un contexte où le courant qui donne le ton dans le catholicisme n’est plus celui des années 60 ? En ecclésiologie, il s’agira d’approfondir des points tels que : la place du pontife romain dans l’Église romaine, la relation entre épiscopats locaux et le « centre romain », l’interprétation et la mise en œuvre de Vatican II, le rapport entre discours et actions, la relation entre doctrine et pastorale, le rapport entre réforme et conversion. Jean- François Chiron a particulièrement insisté sur le dernier rapport : la réforme implique la conversion et il n’y a pas de conversion sans réforme(s) ». Mais qu’entend-on par réforme : s’agit-il d’un changement de type A : on fait autrement les mêmes choses ou le changement de type B : on se décide à faire autre chose ? Les réponses entre ces deux alternatives (changements) diffèrent selon les réalités envisagées et elles doivent s’appuyer sur les références ecclésiologiques de fond. Elles devront justifier les réponses en ayant en mémoire la phrase du pape actuel : « nous vivons, non pas une époque de changements, mais un changement d’époque ». (Discours au Ve congrès national de l’Église italienne, Florence, 10 novembre 2015).

Pour avancer dans ces questions, Jean- François Chiron propose comme méthode en ecclésiologie, un va-et-vient entre l’actualité brûlante et une réflexion de fond. Par exemple, si on réfléchit sur le thème de la communion, on pourrait se demander : qu’est-ce qui suscite la communion ou qu’est-ce qui la perturbe, qu’est-ce qu’être en communion aujourd’hui ici ou là ? Si la question est éminemment théologique, elle demande d’être envisagée dans le contexte d’individualisation du choix religieux, de création des sous-communautés à l’intérieur de la grande communauté, de l’« archipélisation » de la religion, d’hystérisation de prise de positions religieuses, notamment au moyen des réseaux sociaux etc. La prise en compte du contexte est déterminant pour penser l’être ecclésial dans la culture occidentale contemporaine, dans une approche interdisciplinaire, notamment grâce à l’histoire (Congar, Chenu, de Lubacbac et d’autres), et la sociologie, comme disciples-ressources.

Dans ce contexte, il faut penser la mise en œuvre à tous les niveaux de la dialectique bien connue « un seul, quelques-uns et tous ». En même temps, cette dialectique demande à être étudiée. Le terme de synodalité reste à approfondir en vue de mieux cerner la pratique ainsi désignée. D’autres questions doivent aussi préoccuper l’ecclésiologue comme : la requête de participation ou démocratisation dans l’Église, la pertinence de l’Église dans le monde de ce temps (et prendre conscience d’une Église minoritaire en Occident) : quel sera le visage de l’Église de demain dans un contexte à la

fois de besoin de réformes de plus en plus exprimé et d’une allergie aux réformes de plus en plus manifeste dans l’Église ?

Jean- François Chiron estime que le récent synode sur l’Amazonie semble avoir été voulu par le pape comme symbolique de ce qui pourrait être l’avenir de l’Église, et ce, pas seulement dans les périphéries du monde. En effet, ce synode n’a pas traité que des questions écologiques, il a aussi discuté des questions relatives aux ministres dans l’Église. Autant des questions symboliques. A ce propos, soulignons que Jean- François Chiron a déploré le fait que la problématique de la journée évitait le mot « ministères » au profit du terme plutôt juridique d’« offices » confiés aux laïcs.

Le deuxième intervenant a conclu en affirmant qu’on ne peut penser l’Église, son être et sa raison d’être sans la situer par rapport au Royaume de Dieu, sans penser ses origines et son fondement. Ici, Jean- François Chiron rejoint le premier point de Gilles Routhier sur le sens et la raison d’être de l’Église. La question du pourquoi refait surface, conduisant à articuler ecclésiologie et christologie, théologie et exégèse, penser l’écart entre le projet et sa réalisation, penser l’Église comme sacrement du Royaume dans une dialectique entre le « déjà-là « et le « pas encore ». Ainsi, la sacramentalité de l’Église se pense dans un transitoire qui n’enlève en rien son être mais qui interdit ce qui serait par trop péremptoire. Voilà ce à quoi est voué l’ecclésiologue d’aujourd’hui, d’après Jean- François Chiron.

3) Benoît-Dominique de la Soujeole

L’exposé du troisième orateur a porté sur les « Approches et méthodes en ecclésiologie ». Le dominicain a insisté sur la nécessité de confronter les approches et méthodes en théologie, notamment en ecclésiologie. Dès le début de son exposé, Benoît-Dominique de la Soujeole a affirmé, non sans raison, qu’un certain nombre de questions ecclésiologiques aux conséquences œcuméniques majeures sont tributaires de la façon de les aborder (des approches adoptées découlent certaines méthodes).

Il a présenté deux approches : l’approche de l’équilibre et celle de l’harmonie. Il a souligné que chaque approche a sa cohérence propre et ses conséquences méthodologiques propres. Il pense, par ailleurs, que les deux approches doivent être évaluées parce qu’elles constituent un présupposé souvent très implicite (et donc non critiqué) des propositions qui sont faites en réponse à des questions particulières. Ces deux modèles (approches) sont, de quelque façon, alternatifs et ne peuvent se joindre pour donner « le » modèle.

A propos des approches, le dominicain a fait cette remarque : les questions ecclésiologiques, que ce soit dans le cadre de la recherche ou dans le dialogue œcuménique sont des questions concernant le plus souvent la compréhension de l’exacte relation des diverses réalités dans l’Église. Par exemple, la relation entre primauté et collégialité.

L’approche de l’équilibre : le mot équilibre est souvent pris au sens métaphorique avec l’image de la balance (contrepoids). L’équilibre véhicule une conception de la relation entre les réalités qui interagissent en se corrigeant mutuellement. Par ailleurs, dans l’approche de l’harmonie (dont l’idée est déjà présente dans la tradition philosophique grecque et dans la Bible), c’est l’idée d’un ajustement des choses entre elles, une esthétique de l’exact ajustement symbolique des différents éléments qui s’intègrent pour constituer un signe (le cosmos, différent de chaos, dit la grandeur de Dieu, Ps 18).

Plus précisément, dans le sens de l’élaboration philosophique de ces réalités, il y a harmonie lorsque chaque réalité, tout en restant elle-même, porte en elle une portion qui la dispose à la relation avec une autre réalité qui a en elle aussi une proportion qui l’ordonne à l’autre. Dans ce sens, la notion de la réciprocité est essentielle à l’harmonie, elle fonde véritablement l’harmonie. Cette dernière ne s’arrête pas à son aspect symbolique ou esthétique, elle dit une unité d’être, réalisée par des réalités fort différentes mais justement ajustées les unes les autres parce que c’est de l’intérieur de chacune d’elles qu’elles sont disposées, ordonnées aux autres, de sorte que la perception de chaque réalité implique cette relation aux autres. (La perfection de mon bras c’est de faire partie du corps et la perfection du corps inclut mon bras). Dans ce sens, la philosophie doit favoriser une meilleure compréhension de l’interdépendance entre la primauté et la collégialité. Car une primauté sans collégialité, c’est comme une tête sans corps et une collégialité sans primauté, c’est un comme corps sans tête.

Les deux approches n’impliquent pas la même méthode. Le modèle de l’équilibre implique des corrections à faire, des changements à apporter, chose difficile à accomplir du point de vue dogmatique où l’on se situe dans le cadre d’un développement que l’on veut homogène. Par contre, avec l’approche de l’harmonie, il s’agit d’aller du vrai au plus vrai, de sonder plus profondément comment les deux termes en relation (primauté / collégialité) s’appellent mutuellement, sont ordonnés l’un à l’autre pour la perfection de l’un et de l’autre. Chacun possède en lui ce qui rend l’autre plus parfait.

En ecclésiologie, l’ordre réel des choses nous semble mieux exprimé par la vision selon l’harmonie qui est tout aussi biblique que réelle. Mais, l’ordre de la connaissance progressive que nous en prenons est marqué par le modèle de l’équilibre. Mais l’approche de l’équilibre est plus séduisante pour les humains, notamment parce qu’elle exprime bien notre vécu moral : nous sommes des êtres partagés, notre vie n’est pas posée d’emblée dans une parfaite harmonie, celle-ci étant plus une finalité poursuivie qu’un état vécu. Dans notre vécu moral nous sommes souvent dans des équilibres précaires.

Dans sa conclusion, le troisième orateur a souligné que la pensée par l’harmonie est celle qui est la plus commune dans l’histoire de la pensée chrétienne. C’est aussi celle qui est la plus co-naturelle à nos frères orthodoxes. Elle est encore celle qui peut permettre une réelle pneumatologie dans notre dogmatique. Elle mérite encore d’être sollicitée

de nos jours, tout particulièrement dans l’Église latine. Elle fournit les éléments précieux pour comprendre l’interaction entre les réalités de la foi si différentes et si faciles à apposer. Les questions ecclésiologiques actuelles pourraient bénéficier de l’éclairage de l’une ou de l’autre méthode, particulièrement de l’approche de l’harmonie dans certains débats: sacerdoce ministériel / sacerdoce commun ; visibilité / invisibilité de l’Église ; temporalité / spirituel, etc.

4) Roberto Repole

Le dernier intervenant de la journée a abordé le thème de la synodalité en se concentrant spécifiquement sur la réalité du presbyterium au niveau de l’Église locale. Roberto Repole a commencé par souligner que grâce au pape François (pontificat actuel), le thème de la synodalité est redevenu central, y compris dans les études ecclésiologiques. Mais, si le thème de la synodalité est abordé à plusieurs niveaux de la vie ecclésiale, le premier niveau de la synodalité dans l’Église est celui de l’Église locale, comme l’a réaffirmé récemment le pape François dans son discours à l’occasion du 50eanniversaire de l’institution du synode des évêques, le 17 octobre 2015.

Par ailleurs, Roberto Repole constate, dans les débats autour de la synodalité, une faible attention, voire l’absence d’attention à repenser les ministères ordonnés sur le plan de l’Église locale, sur un horizon de synodalité qui prendrait en charge, non seulement les questions canoniques encore ouvertes, mais aussi des problématiques théologiques elles-mêmes. L’orateur a l’impression que la grande question de la collégialité qui a animé les travaux conciliaires a aussi occupé les débats postconciliaires au point d’occulter d’autres problèmes qui, pourtant, restent toujours posés, par exemple, la mise en œuvre plus synodale des ministères, y compris sur le plan de l’Église locale. Dans ce contexte, l’orateur se demande s’il y a une place pour une théologie clairement orientée vers une conception plus synodale du ministère ordonné actuel dans l’Église locale. Pour Roberto Repole, la manière dont ce ministère est conçu et réalisé ne permet pas nécessairement de vivre la synodalité à tous les niveaux de l’Église locale. Pour lui, cela est dû à l’interprétation monarchique et solitaire du ministère de l’évêque, laquelle interprétation a des effets similaires sur l’exercice du ministère presbytéral.

Roberto Repole remonte jusqu’au Concile pour trouver des éléments problématiques. Il trouve dans certains textes du Concile quelques ambiguïtés au sujet du pouvoir de l’évêque dans l’Église locale. Du point de vue pastoral, c’est comme si tout venait de lui et se concentrait sur lui seul. Or, si l’évêque pouvait tout faire seul, le prêtre ne serait pas nécessaire. Dans une telle logique, il n’y a pas place pour un type de ministère synodal dans l’Église locale. Des textes tels que Sacrosanctum concilium 42,Presbyterorum ordinins 8 placent l’évêque en dehors du presbytérium. Dans ce contexte, on est incité à considérer les prêtres comme des subordonnés

de l’évêque et à voir le presbytérium comme une réalité qui ne concerne pas aussi l’évêque.

Cependant, il existe d’autres textes de Vatican II qui peuvent guider la réflexion théologique dans le sens d’une prise en charge collective du presbytérium dont l’évêque est membre en tant qu’il le préside. Ces textes peuvent conduire au développement d’un ministère plus synodal au niveau de l’Église locale. Par exemple, dans Lumen gentium 28, le presbytérium inclut l’évêque, avec des fonctions différentes. (Cf. aussi Ad gentes 19 :Episcopi vero, una cum suo quisque presbyterio).

Il y a donc deux conceptions du pouvoir de l’évêque qui émergent de Vatican II : la première est celle de penser à l’évêque comme principe d’unité dans une Église locale, en le considérant cependant en dehors du presbyterium. Ici, l’herméneutique de la plénitude du sacrement conduit facilement à voir l’évêque comme celui dont chaque potestas est monarchique et solitaire, comme on le voit parfois dans le droit canonique. L’autre conception est de considérer l’évêque plutôt comme principe d’unité à l’intérieur de son presbytérium. Dans ce cas, on sera emmené à voir davantage l’évêque à partir du presbyterium et moins le presbyterium à partir de l’évêque. Cela aura l’avantage de favoriser au niveau de l’Église locale la récupération d’une synodalité dans l’exercice du ministère à la suite de la collégialité des évêques cum et sub petro, récupérée au niveau de l’Église universelle. Au niveau de l’Église locale, il s’agit de considérer l’évêque comme le chef du sénat des prêtres et des diacres, dans une logique des relations ecclésiales fondée sur la fraternité humaine en Christ.

Les suggestions subséquentes sont nombreuses par rapport à la compréhension du presbyterium et sur le plan pratique : autant l’exercice du presbytérium n’existe qu’autour de l’évêque et en lien avec lui, autant il ne peut exister de ministère de l’évêque qu’en communion avec le presbytérium. Ce rapport ne supprime pas le rôle singulier de l’évêque mais exclut de le penser de manière détachée du presbytérium. Cette vision, dans les conditions actuelles de l’exercice du ministère, aide à sortir d’une certaine compréhension abstraite du ministère de l’évêque et permet de l’envisager comme chaînon d’unité (mieux comme tête) dans l’ensemble de ministères au service d’une l’Église locale.

En conclusion, Roberto Repole estime qu’il est intéressant, du point de vue ecclésiologique, de proposer au niveau de l’Église locale un ministère plus synodal à la manière de ce qui a été pensé avec le collège des évêques cum et sub petro au niveau de l’Église universelle. Au niveau de l’Église locale, la logique de relations serait distinctement : les prêtres et les diacres avecet sous la responsabilité de l’évêque.

La question que nous aimerions poser à Roberto Repole est la suivante : les relations entre la primauté romaine et les conférences épiscopales sont- elles toujours de type synodal ? Autrement dit, les nombreuses études sur le rapport entre la primauté romaine et les conférences épiscopales ne montrent-elles pas souvent un rapport disharmonique et déséquilibré ?

5) En guise de conclusion : un « cahier des charges »

La conclusion de la journée a été faite par Jean-Louis Souletie, doyen duTheologicum, sous forme de « cahier des charges » pour l’ecclésiologie. Il a notamment souligné la nécessité d’une reprise, d’un approfondissement de liens entre ecclésiologie et théologie biblique (Cf. Karl Rahner sur l’inspiration des Écritures : Dieu a voulu l’Église, l’Église lit les Écritures) ; le caractère historique, contextuel et culturel de l’ecclésiologie comme un lieu théologique ; l’absence de traité de la méthode (ou des méthodes) en ecclésiologie ; l’approfondissement de la synodalité ; le lien entre ecclésiologie, morale et anthropologie ; la réalité diasporique de l’Église ; la conversion personnelle et collective comme chemin de synodalité ; le(s) lien(s) entre synodalité, liturgie et assemblée synodale, etc.

Que retenons-nous personnellement de cette journée ? Que l’ecclésiologie reste une discipline sine qua non pour penser de tous temps la raison d’être de l’Église. La longue liste des finalités retenues pour cette journée d’études en ecclésiologie révèle l’immensité du travail, appelé continuellement à se renouveler en fonction des temps et des espaces ou contextes. L’on comprend par-là que l’ecclésiologie, comme n’importe quelle discipline d’ailleurs, ne saurait évoluer aujourd’hui en vase clos. L’interdisciplinarité est désormais nécessaire pour la recherche en ecclésiologie et en théologie. Une dernière remarque : réunir des ecclésiologues pour réfléchir sur les questions et les méthodes ou approches en ecclésiologie est une bonne initiative à promouvoir ou à encourager. Cependant, une seule journée de travail nous semblait insuffisante, si l’on veut vraiment s’écouter les uns les autres et aller plus loin dans les débats. Nous espérons que cette belle initiative va continuer.

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